Faire de l'histoire religieuse dans une société sortie de la religion



Faire de l'histoire religieuse dans une société sortie de la religion



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http://rhr.revues.org/8234
1 janv. 2014
Revue de l'histoire des religions

Comme la langue d'Ésope, l’ego-histoire peut être la meilleure ou la pire des choses. Sous une plume médiocre, elle ne produira que des flots de littérature grise, éventuellement épicée de grotesque involontaire. Confiée à une belle intelligence, en revanche, on peut en attendre beaucoup. Que Guillaume Cuchet relève de cette seconde catégorie est une évidence : il fallait beaucoup d’audace intellectuelle et un sens aigu des vrais problèmes historiques pour choisir ce qui fut le sujet de sa thèse (Le crépuscule du purgatoire du milieu du XIXe s. à la Grande guerre, Paris, 2005) ; il en fallait plus encore pour s’emparer, pendant que d’autres établissent de laborieuses monographies de congrégations ou de diocèses, de la question décisive qui a donné naissance à son plus bel article, « Une révolution théologique oubliée : le triomphe de la thèse du grand nombre des élus dans le discours catholique du XIXe s. » (Revue d’histoire du XIXe s., 2010) ; il en fallait au suprême pour retenir comme thème de séminaire, avec Philippe Boutry, une lecture historique du grand œuvre de Philippe Muray, Le XIXe s. à travers les âges (EHESS, 2012). On est donc assuré, en découvrant le regard rétrospectif que Cuchet porte sur son travail et, plus généralement, sur le champ d’étude dans lequel il s’inscrit, de ne pas perdre son temps. On a pourtant le sentiment, en avançant dans la lecture, que l’essai proposé est un peu en retrait par rapport aux contributions antérieures de l’historien, comme s’il n’avait pas souhaité aller jusqu’au bout des implications théoriques de sa pratique si originale. Sans doute l’origine académique du texte renforce-t-elle cette impression. Le ton y est à la révérence envers les grands ancêtres de « l’histoire religieuse », les Le Bras, Rémond ou Delumeau, alors même que Cuchet fait partie de ceux qui ont inventé une manière toute neuve d’écrire l’histoire du religieux, hors des sentiers battus et rebattus, au-delà des apories et des préjugés. On est frappé aussi par la volonté d’inscrire la recherche dans un cadre très universitaire (« le milieu », écrit Cuchet !), comme secteur institutionnalisé d’une discipline périodisée, au moment où le quadripartisme agonise et où le splendide isolement de l’histoire affiche ses résultats intellectuellement désastreux. Il y a quelque chose de presque héroïque à défendre en 2013 les vieilles méthodes du chanoine Boulard, à se vouloir le chantre du comptage et de la cartographie, mais en même temps un sérieux paradoxe quand on s’est soi-même attaché à franchir ce « mur de la foi » dont Émile Poulat, comme le rappelle Cuchet, avait montré la résistance à toute sociographie.
- Alain Rauwel

115229-09


 

 

 

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