Sous leur apparente simplicité, avec leurs séduisantes images, les abécédaires ont plus à nous offrir qu'un parfum d'enfance, plus à nous apprendre qu’une promenade convenue qui nous conduirait de la lettre A à la lettre Z. Cette étude consacrée aux Abécédaires de l’enfance s’attache à éclairer la poétique littéraire et graphique d’un genre dont l’histoire se révèle plus inattendue qu’on ne pourrait le penser. Comment imaginer que ces petits albums, d’un abord insignifiant, plongent leurs racines dans la culture chrétienne des premiers siècles et qu’ils doivent beaucoup à la figure magistrale de saint Augustin? Qu’objet littéraire au service d’un ordre transcendant, ils eurent à charge d’initier l’enfant à la discipline sociale, religieuse, politique et économique? Que, des siècles durant, ils aient pu servir de méthodes de lecture sans le moindre recours à l’illustration? Il faut attendre en France la fin du XVIII^e siècle pour que les premières images soient introduites afin de séduire l’enfant, capter son attention et faciliter ses apprentissages. Mais leur irruption au sein du genre va en bouleverser la nature, la portée et les usages. L’image est l’émissaire d’une véritable révolution culturelle qui place l’enfant, son univers, ses curiosités, son imaginaire, sur le devant de la scène. Les abécédaires témoignent ainsi de l’évolution des politiques nationales d’éducation comme des pratiques privées au sein des familles. Ils attestent de l’importance grandissante de l’image dont éditeurs et artistes ne cesseront d’explorer les ressources ludiques, poétiques et idéologiques. La confrontation de la production française avec les productions anglaise et américaine qui lui sont contemporaines est là pour mettre en lumière, au-delà des contraintes de chaque langue, combien les spécificités politiques, sociales, religieuses et pédagogiques infléchissent chaque tradition nationale. Les abécédaires... ou le monde dans une goutte d’eau!