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Cahiers des Amériques latines, n° 90/2019-1Le Paraguay : 30 ans après Stroessner
Coordination éditoriale de Damien Larrouqué |
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À l'occasion du trentième anniversaire de la fin de la dictature d'Alfredo Stroessner (1954-1989), l'ambition de ce numéro spécial est d'éclairer les évolutions politiques et sociales du Paraguay contemporain.La littérature académique tend à montrer que l’ombre portée du Stronato a durablement assombri les perspectives de modernisation politique et d’autonomisation de la société civile locale. Après avoir connu une transition qualifiée d’« incomplète » [Morínigo, 2002], de «circulaire» [Simón, 2008] voire même de «gatopardiste» [Soares, 2009], la démocratie paraguayenne a longtemps été présentée comme «vulnérable» [Mendonca, 2010]. En Juin 2012, la procédure de destitution express engagée contre Fernando Lugo, premier président de gauche de l’histoire du pays, aurait même signifié une involution dans ce très chaotique processus de consolidation démocratique [Duarte Recalde, 2013; Szucs, 2014]. Pour beaucoup d’analystes, le Paraguay n’en aurait pas fini d’exorciser son passé autoritaire. D’après Félix Pablo Friggeri (2017: 218), le pays serait toujours sous la coupe d’un «stroessnisme globalisé». Très prégnante en matière politique, cette empreinte du Stronato aurait également imprimé la structure économique, sociale et même culturelle du pays. Réputé très conservateur sur le plan des mœurs [Rivarola, 2008], le Paraguay se distingue également comme un pays fortement inégalitaire. Alors que sa structure socio-économique reste rurale, la concentration foncière y est la plus forte au monde (85% de la terre est possédée par 2% de la population agricole). Au cours des années 1990 et 2000, le pays aurait même connu une «contre-réforme» agraire [Hetherington, 2014]. Pour ce qui est du système éducatif, marqué sous la dictature par sa très forte politisation et sa médiocrité [Pineda, 2012], il est certes déficient, mais n’en demeure pas moins original car bilingue guarani/espagnol sur l’ensemble du territoire [Boyer et Penner, 2012; Penner, 2016]. Le multiculturalisme au Paraguay met ainsi à l’honneur une langue amérindienne. Cependant, on ne peut nier que la discrimination reste importante vis-à-vis d’autres groupes ethniques ou minorités racialisées [Boidin, 2014]. Quant à la société civile, elle est très certainement moins apathique aujourd’hui qu’elle n’avait pu être présentée il y a encore dix ans [Sondrol, 2007]. Ainsi que l’ont illustré les récentes protestations des étudiants contre la corruption du système universitaire [Duarte Recalde, González Ríos, 2016] ou, plus tragiquement, les émeutes qui ont enflammé les rues d’Asunción, en mars 2017, suite au passage en force du projet de réélection présidentielle [González Bozzolasco, 2017], nous constatons une recrudescence des mobilisations sociales au cours des trois dernières années. A bien des égards, ce «printemps sans égal» [Sosa Walder, 2015] témoigne d’une exaspération grandissante des jeunes générations et, plus largement, d’une tolérance beaucoup moins grande des citoyens envers toute forme de concussion et/ou d’abus de pouvoir jusqu’alors dominante. Plutôt que de démontrer la résilience d’un système politique et social encore gangréné par les logiques de fonctionnement patrimonialiste héritées du Stronato (corruption, impunité, violence), notre dossier assumera une orientation plus «optimiste» que la plupart des travaux académiques. Il s’agira d’éclairer les évolutions politiques et sociales du Paraguay contemporain, en s’intéressant notamment au dynamisme de sa société civile (nouveaux enjeux de mobilisation, transformations culturelles liées aux évolutions démographiques et au renouvellement générationnel, expressions littéraires ou cinématographiques diverses). |
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