Un des arguments élaborés par les partisans de l'oligarchie contre le « pouvoir populaire » (dèmokratia), le régime politique en vigueur à Athènes au V^e et au IV^e siècles avant notre ère, est que le peuple est incapable de délibérer. Aussi les décisions qu’il prend, tant à l’Assemblée qu’au sein des tribunaux populaires, en faisant preuve d’un activisme forcené et irréfléchi, lui sont-elles toujours dictées par d’habiles démagogues ou « meneurs du peuple ». Les milliers de citoyens qui composent la masse indistincte et instable du dèmos ne sont donc pas davantage des décideurs en politique qu’ils ne sont les auteurs des spectacles auxquels ils assistent au théâtre de Dionysos. Ainsi, en dénonçant les techniques théâtrales effectivement utilisées par les orateurs comme autant de porte-voix leur permettant de communiquer avec les milliers de citoyens réunis en Assemblée, la pensée anti-démocratique suggère que le « pouvoir populaire » est une chimère dangereuse, puisqu’il implique de confier le sort de la collectivité à ceux qui, à chaque fois, savent séduire la majorité. Dans quel contexte historique ce lieu commun de la rhétorique anti-démocratique s’est-il formé ? Le jugement de valeur qu’il implique est-il fondé ? Telles sont les questions auxquelles ce livre tente de répondre, en revenant sur une conception exclusivement dialogique de la délibération. En effet, si aucun moment n’est explicitement dédié au dialogue pendant l’Assemblée, les échanges permanents entre les participants constituent une délibération informelle et tumultueuse qui, avant même le vote à main levée, rend effective la souveraineté populaire.