Le 20e si�cle touchait � sa fin lorsque Jean Pierre Delhoume me rencontra, le cartable ou mieux, l'ordinateur empli de baux � cheptel, �tats de fonds, contrats de m�tayage et autres comptabilit�s de marchands de bestiaux concernant tous le Limousin du 18e si�cle.
Pareille moisson ne pouvait rester en jach�re et Jean-Pierre Delhoume d�cidait de poursuivre ses recherches, de les amplifier et de les inscrire dans le cadre formateur et acad�mique de la th�se. De discussions en rencontres avec les ruralistes fran�ais qui r�serv�rent un accueil chaleureux � un chercheur venu du domaine des sciences � dures �, rompu aux subtilit�s comptables et sensible aux s�ductions du pourcentage, la th�se progressi-vement prit forme. Ce livre savant, dense, riche de tableaux, cartes, croquis qui rythment la d�monstration est le r�sultat, quelque peu r�duit, de cette recherche sur les campagnes limousines au 18e si�cle conduite au sein de l'�quipe d'accueil CERHILIM de l'Universit� de Limoges.
La premi�re caract�ristique de l'�tude est son remarquable socle documentaire. Jean Pierre Delhoume a une connaissance intime et exhaustive des sources primaires, manuscrites ou imprim�es qui ont �t� produites au cours du 18e si�cle par toutes les parties prenantes de l'histoire de l'agriculture. Sa familiarit� avec les contrats de location des terres, les compositions des cheptels, les livres de comptes des marchands, sa parfaite ma�trise d'un mat�riau archivistique qui fait d'autant plus sens qu'il est abondant, garantissent la solidit� et la fiabilit� des conclusions avanc�es.
Le second point porte sur la m�thode d'analyse � l'implacable rigueur. Chaque aspect du sujet est fermement circonscrit, qu'il s'agisse par exemple, de la distribution sociale de la propri�t� fonci�re, de l'exploitation du sol, des effectifs des troupeaux, du partage du sol entre terres cultiv�es ou incultes, entre prairies et labours, ch�taigneraies et simples bois. Chaque fois, Jean Pierre Delhoume expose son protocole de recherche et, pas � pas, preuves � l'appui, il conduit son raisonnement, il quantifie, compare, confronte avant de poser des conclusions d'une �vidence irr�futable. Et l'on sait d�sormais, apr�s le passage au crible - tr�s fin et redoutable - de l'auteur, que les campagnes limousines abritent une distribution du sol extr�mement in�gale. Les deux tiers des propri�t�s ont moins de cinq hectares et occupent 8,5 % du sol tandis que 6 % des propri�t�s ont plus de soixante hectares et monopolisent 58 % des terres ; la paysannerie repr�sente 53 % des d�tenteurs de biens fonciers mais elle ne retient que 6 % du sol, lorsque la noblesse - 3 % des propri�taires - a 26 % des terres. Et les propri�t�s d'une superficie sup�rieure � trente hectares �chappent toujours aux paysans. L'�miettement de la propri�t� fonci�re est consid�rable et cette petite paysannerie pl�thorique, - des m�tayers, des journaliers -, a pour tout cheptel une ou deux vaches bien souvent �tiques.
Or l'�levage bovin conquiert au cours du 18e si�cle une place plus assur�e et d�cisive dans l'�conomie agricole de la province. Les pr�dispositions naturelles d�favorables au froment, acceptables pour la culture du seigle et du sarrasin, sont plus propices au couchage en herbe du Limousin. Les paysans, de mani�re empirique et rationnelle orientent l'agriculture vers l'�levage bovin avec comme pierre angulaire du syst�me herbager le pr� de fauche. Ce choix �tait en d�calage avec le discours physiocratique et l'anglomanie des �lites et Jean Pierre Delhoume ne se fait pas faute de souligner d'une plume parfois grin�ante cette faillite des esprits �clair�s avec une mention particuli�re pour l'intendant Turgot. Mais laissons le syndrome Turgot et revenons � l'essentiel, c'est-�-dire � cette minutieuse analyse de l'inscription de l'�levage bovin dans l'�conomie provinciale au 18e si�cle. De la valeur des pr�s de fauche, quatre fois sup�rieure � la meilleure des terres labourables, des investissements des bouchers et des � banquiers � bestiaux � aux circuits de commercialisation et d'approvision-nement de Paris et de la marine, tous les indices patiemment �tablis d�montrent la place fondamentale des bovins limousins. Au 18e si�cle, l'agriculture limousine est orient�e vers l'�levage sans abandonner la polyculture tourn�e vers la n�cessaire satisfaction des besoins alimentaires des populations autochtones. Ce volet d'une agriculture contrainte, obligatoirement peu inventive tant la paysannerie est d�munie de r�serves frumentaires et de liquidit�s financi�res, a forg� l'image d'un Limousin archa�que. Jean-Pierre Delhoume, habit� d'une forte empathie pour sa province, rompt des lances avec cette historiographie et insiste au contraire sur les ferments d'innovation, la sp�cialisation de l'agriculture de la province au cours du si�cle. Sa th�se, tr�s argument�e, permet de prendre la mesure d'une �conomie agricole du Limousin contrast�e et habile � acclimater dans un pays de petite culture, une sp�cialisation vers l'�levage bovin, demeur� le fleuron de la province. D'aucuns seront peut-�tre �tonn�s de ces conclusions d�capantes et solidement �tay�es, salu�es par un jury de th�se compos� d'�minents ruralistes, mais le fait est ici d�montr� de mani�re magistrale : les bovins ont d�j� une place tr�s consid�rable dans l'�conomie agricole limousine au 18e si�cle.
Michel CASSAN