“Que suis-je moi-même ?” s’interroge Rousseau. “Qu’ai-je été, que suis-je ?”, reprend Stendhal. Pour celui qui se penche sur la fontaine de Narcisse, la question ontologique devient l’obsession du texte. Mais voilà, “le meilleur moyen de ne pas se voir, est de se regarder”, souligne Claudel. Subissant l’influence des sciences humaines, la fontaine de Narcisse est devenue si impure que l’auto-projection s’y avère impraticable. Il faut dire que quelques “philosophes du soupçon” ont rendu l’eau si trouble. Comment écrire son autoportrait après Freud, ou Jung, ou Lacan, pour qui l’essentiel de nous-mêmes provient d’autrui ? On retrouve le même scepticisme ontologique chez Barthes : “Je ne puis m’écrire. Quel est ce moi qui s’écrirait ?” Cette difficulté à se reconnaître, ce sentiment d’étrangeté et d’appréhension qui accompagnent très souvent la quête de l’ego à travers l’écriture, sont révélateurs d’une tension permanente entre le moi-regardé et le je-regardant, entre l’ego et “l’ego scriptor” pour employer les termes de Valéry. De fait, selon Paul Ricœur, l’altérité de soi est une étape nécessaire et inévitable à l’appréhension de l’ego. Unique ou multiple, substantiel ou évanescent, le moi n’est pas un objet stable. Ses configurations textuelles, transcendant distinctions génériques et traits définitoires, sont d’autant plus diverses que son appréhension gagne en complexité. L’objet de l'ouvrage est d’accorder à cette notion toute la complexité qui lui est due. Sont multipliés les perspectives et les angles d’approches, diversifiés les genres, les époques et les horizons culturels qui forcément informent et imprègnent la production du texte. Comment le Moi se perçoit-il ? Comment est-il perçu par les autres ? Comment se structure-t-il dans le discours ?