Revue des Sciences Humaines, n°264/octobre - décembre 2001



Revue des Sciences Humaines, n°264/octobre - décembre 2001

Des fleurs pour vousBalzac, Barrès, Baudelaire, Eichendorff, Giono, Jaccottet, Taine, Zola...

Édité par Philippe Bonnefis, Dolorès Djidzek-Lyotard, Patrick Wald Lasowski



Philippe Bonnefis

Prof. ém. de Lille 3

(1939-2013)

A fondé la collection Objet en 1981.

Bonnefis s'écrivait sans l à la fin. Il ne s'est jamais trouvé de meilleures raisons d'écrire que d'avoir eu à le rappeler sans cesse.

Passant la moitié de l'année aux États-Unis, il vivait entre deux continents. Entre deux langues, deux communautés, deux cultures… Au fond, toujours « entre », et en tout. Jamais tout entier ici, jamais tout entier là. Entre littérature et philosophie, entre critique et création, entre lecture et écriture, entre écrit et oral, etc.

À l’Université d’Emory (Atlanta, Georgia), où il a eu son séminaire pendant plus de vingt ans, il était ce que l’on appelle là-bas a spring-professor. Un professeur de printemps. Compte tenu de son âge, il avait la faiblesse de trouver cette pensée consolante.

Ses maîtres, sauf illusion, étaient : Francis Ponge (parce qu’il veut les choses, mais pas les choses seulement ; parce qu’il veut les mots, mais pas les mots seulement ; parce qu’il veut les deux, et les deux en même temps) et Jacques Derrida (pour la phrase, le tour de phrase, le phrasé ; parce que la pensée de Derrida est une pensée qui s’expose comme manière ; inséparable de la manière dans laquelle elle s’expose ; au fond, ce qu’il aime dans Derrida, c’est le baroque).

La rencontre intellectuelle la plus importante de sa vie a été sa rencontre avec Pascal Quignard, devenu tout ensemble, depuis, son Asselineau, son De Quincey, son Edgar Poe, son Delacroix et son Constantin Guys.

Son ambition, s’il avait pu l’afficher sans ridicule, était de rendre le commentaire sur la littérature… à la littérature ! De là cette démarche qu’on lui a beaucoup reprochée, et qui consistait à aller vers la littérature avec des moyens de littérature. Vers le romanesque, mais en faisant l’économie du roman ; vers le poétique, mais en faisant l’économie du poème ; vers le théâtral, mais en faisant l’économie du théâtre…

Ses goûts littéraires, de loin, pouvaient paraître fort éclectiques. Baudelaire, Rimbaud, Jules Verne, Claude Simon, Francis Ponge, Pascal Quignard… C’était qu’il ne savait adorer qu’un seul dieu, et qu’en la matière il était plutôt polythéiste. Polyglotte, polygame… Il n’en avait pas moins ses auteurs de prédilection, qu'étaient Gustave Flaubert, Jules Laforgue, Jules Vallès, Louis-Ferdinand Céline, Blaise Cendrars et Henri Michaux. Parmi tous les écrivains possibles, ceux qui théâtralisent sans doute le plus leur rapport à la langue. Les grands hystériques du domaine français.

Dont ne faisait pas partie, cependant, Guy de Maupassant. Et pour lui ce n'était pas le moins étrange. Que Maupassant insiste, personnage reparaissant dans sa bibliographie où il ne revient pas moins de quatre fois, est une idée qui le trouble. Que lui voulait ce revenant ? Qu’exigait-il, à la fin ? Il n’en savait rien. Peut-être même ne souhaite-t-il pas le savoir.


Hommages à Philippe Bonnefis

Philippe Bonnefis, né à Dieppe le 20 juillet 1939, vient de disparaître à Lille dans sa 74e année.
Professeur de littérature française à l'Université de Lille 3, il a enseigné, au-delà de sa retraite, à l'université Emory d'Atlanta, aux États-Unis. Directeur des Presses Universitaires de Lille de 1981 à 1986, il a fondé en 1981 la collection « Objet ». Il en avait choisi le titre en raison du caractère « insolite ou bizarre du mot » qu'il voyait tout en rondeur : « Que voulez-vous ? Pour moi, le mot « objet » est rond. » (Entretien avec A. Wald-Lasowski dans Europe, octobre 2010). Il édite dans cette collection des essais préférant la critique littéraire d'un texte à son étude purement universitaire. À l’occasion de la première édition en 1987 de son livre, Mesures de l’ombre, Vincent Kaufmann écrivait que d’essai en essai « c’est en fin de compte un art de la lecture qui est réinventé, dans sa nécessaire pluralité : à l’abri de toute illusion sur la possibilité d’une communauté d’écriture ou de lecture. » Dominique Viart, directeur avec G. Farasse de la Revue des Sciences humaines qu’a dirigée également Ph. Bonnefis, dit de ses livres, « aux confins de la littérature et de la recherche, [qu’ils] demeurent plus que des références : de véritables œuvres littéraires, où l'érudition le dispute au plaisir du verbe, la virtuosité enjouée à l'élégance. Proche des peintres et des écrivains, Philippe Bonnefis était par eux considéré comme un alter ego. »
Philippe Bonnefis a souhaité que la collection « Objet » à laquelle il a imprégné sa marque tant par le contenu que par la présentation de sa maquette disparaisse avec lui. Quand aura paru le dernier ouvrage programmé par ses soins, ce sont au total 85 ouvrages dont il aura dirigé la publication aux Presses universitaires de Lille puis à Septentrion.
Philippe Bonnefis était un universitaire et en même temps un écrivain, un critique, un intellectuel dont les Presses universitaires du Septentrion conserveront un souvenir ému. Elles s’associent à la douleur de sa famille.

- Jérôme Vaillant -

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La Revue des Sciences Humaines est en deuil.
Philippe Bonnefis vient de nous quitter et, avec lui, elle perd celui qui, en compagnie de Jean Decottignies, avait fait d'elle la revue prestigieuse qu’elle est devenue. Il l’avait animée durant vingt ans et continuait d’en être le conseiller attentif. Homme de goût, il ne se souciait pas seulement de la qualité des études critiques qui y sont publiées, il se préoccupait aussi de la maquette de couverture, de la typographie, de la qualité du papier. Il ne négligeait rien. Il manifestait ces mêmes qualités dans la direction de sa collection, « Objet », des Presses universitaires du Septentrion, où sont parus tant d’ouvrages remarquables. Enseignant exceptionnel, il a marqué des générations d’étudiants que ce soit à l’Université de Lille III ou à Emory University (Atlanta). Qui avait assisté une fois à l’un de ses cours ne pouvait plus l’oublier. Chacun d’entre eux était un événement que l’on attendait, de semaine en semaine. Il avait l’art de ménager l’intérêt et de surprendre, l’art, en partant d’un détail négligé, de faire redécouvrir les œuvres les plus connues, comme celle de Maupassant. Beaucoup de ses étudiants, de ses amis, devenus à leur tour professeurs, ont une dette à son égard : il ne ménageait pas sa peine pour les conseiller et leur venir en aide, il les lisait, il les corrigeait, il suggérait, il les publiait. Ce fut, comme aurait dit Ponge, un suscitateur. Tous reconnaissent en lui un maître.
De cet art, ses nombreux livres publiés par les éditions Galilée témoignent : sur Flaubert, Céline, Giono, Michaux mais aussi sur Pascal Quignard ou Claude Louis-Combet, ou encore sur son ami, Valerio Adami, qu’il a traduit et dont il a commenté les portraits. Car il fut de ceux qui ont su porter l’attention sur la littérature contemporaine et en montrer les richesses. Pour qui ne fut pas son étudiant, c’est un legs précieux, stimulant. Car plus que des ouvrages critiques, ces livres sont des essais inventifs où le lecteur savoure à la fois l’œuvre commentée et le verbe de qui la commente : une prose exacte où toute la richesse de la langue est exploitée, chaque mot mis à sa juste place, une prose, qui par son rythme et sa beauté, a une vertu euphorisante. Peintres et écrivains le tenaient pour l’un des leurs. Un dernier livre venait de paraître, comme toujours enjoué autant qu’érudit. Philippe Bonnefis s’y révèle libre comme jamais et c’est aussi de lui qu’il parle entre les lignes: sa manière sans doute de rester parmi nous. Ce livre s’appelle Pascal Quignard, une colère d’orgues : qu’elles sonnent aujourd’hui à sa mémoire.

- Gérard Farasse et Dominique Viart -


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